Inventer à partir des savoir-faire, des attitudes et des intentions : quelques réflexions autour de Nos Frontières
Inventer à partir des savoir-faire, des attitudes et des intentions : quelques réflexions autour de Nos Frontières
Nos frontières, le projet de Rose-Marie E. Goulet présenté dans le cadre de la programmation d’été 2005 de Dare-Dare, fournit matière à réflexion sur plusieurs aspects observés de manière récurrente dans les pratiques actuelles qui se construisent et se déploient dans la ville. Nos frontières permet d’interroger, toutes à la fois, les questions relatives à la nature du lieu investi qui sous-tend l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie artistique ; aux formes de production de l’espace urbain résultant de la mobilisation de l’environnement, mobilisation perceptive et expressive autant que sensible et relationnelle ; à la nature de « ce qui fait œuvre » dans une proposition artistique tablant tantôt sur le mode de l’introspection, tantôt sur celui de l’interaction, du jeu, de la négociation et de la co-production. En corollaire, l’analyse des mises en situation proposées par Goulet apporte un éclairage particulier sur l’espace urbain ; un cadre offrant une relative stabilité, riche en conjonctures et en hasards, qui ne cesse d’inventer des formes de médiation. Comme nous le verrons, l’artiste met en place « l’infrastructure » nécessaire pour initier une expérience qui se joue en commun et qui part à la découverte de ses propres règles. C’est une base pour l’invention à partir des savoir-faire, des attitudes et des intentions.
Pour explorer la manière dont se tracent, se déjouent ou s’affirment les frontières personnelles autant que celles, géopolitiques, du territoire montréalais, Nos frontières propose la traversée des signes, des sons, des langages et des silences de la ville, à la lumière du jour ou dans l’obscurité de la nuit, au centre ou en périphérie d’espaces densément urbanisés ou encore, dans les derniers retranchements d’un monde rural. Nos frontières est une trilogie se déployant en autant de lieux que de moments propices à l’exploration des qualités sensibles de la ville et à celle, critique, de la micro-politique de la Cité.
Le square Viger, point d’entrée du projet
Un tracé familier sur le grand mur d’eau du square, semblable à première vue à un gigantesque graffiti, attire l’attention : une carte de l’Île indique les frontières des municipalités qui se « défusionneront » de Montréal en 2006. L’attention se dirige ensuite vers des photographies de frontières fixées aux structures de béton. Les icônes que sont, entre autres, le mur de Berlin, la muraille de Chine, le mur des Lamentations rappellent les enjeux idéologiques et politiques, religieux, linguistiques, économiques, sociaux ou culturels des frontières sur l’échiquier mondial. Ces enjeux sont encore rappelés dans le contexte local, largement médiatisés dans les débats sur les « défusions », par une photographie de la clôture Frost isolant Ville Mont-Royal de Parc-Extension. Les enjeux se déclinent encore une fois, plus près de nous, puisque, attirés par ces repères visuels, nous voici pleinement engagés dans le square Viger, un îlot urbain isolé, privé de liens avec la ville. Aux usages publics de l’Agora conçue par Charles Daudelin se superposent les modes d’appropriation marginalisés des sans-abri. Pour plusieurs, la découverte des indices disposés par Goulet est le prétexte pour franchir le seuil du square pour la première fois, traverser ses zones agréables et hospitalières ainsi que ses zones de friction au caractère « incertain », prendre conscience des mécanismes de réglages des frontières, de la distance et de la proximité, de la présence et de l’absence à autrui.
De l’autre côté du mur d’eau, un enregistrement sonore vient brouiller d’autres types de repères territoriaux. Aux bruits ambiants de la rue Berri se superposent des voix d’enfants de 5 ou 6 ans en promenade dans la ville. Ils lisent laborieusement le contenu d’affiches publicitaires, les noms des rues et des espaces publics, les horaires d’autobus, les menus de restaurant. Cette narration d’un paysage urbain envahi par la publicité et par les consignes qui dictent souvent les comportements, les déplacements et les habitudes prend toutefois, à l’écoute de ces petites voix, une dimension particulière. Cette lecture de mots happés au hasard du regard devient l’étrange récit d’un parcours improbable, inquiétant de banalité.
Le « marquage de mots » aux frontières de la ville, second volet de la trilogie
Chaque après-midi de juillet, du mercredi au samedi, se forme, au square Viger, un collectif nomade de touristes, d’étrangers venus apprendre le français, de Montréalais curieux ou, encore, d’initiés à l’art actuel. Rose-Marie E. Goulet les emmène, dans sa voiture, aux frontières de la future ville de Montréal et des municipalités qui seront reconstituées, sur des sites préalablement repérés. La mission ? Pour chaque emplacement visité, choisir des mots (sculptés dans une pastille de coroplast) parmi un répertoire de verbes d’action ayant pour thème la frontière ; puis définir, sur les lieux, un mode d’installation approprié. Une première reconnaissance du terrain permet d’échanger sur les aspects politiques autant que sur les caractéristiques physiques des lieux. S’engage ensuite, selon la dynamique du groupe, une action collective concertée ou une série d’initiatives personnelles spontanées qui donne à celui-ci une allure de commando urbain : accrocher, suspendre, embrocher, enfiler, grimper dans un poteau ou dans un arbre, sauter ou ramper sous une clôture. Pour être, en tous cas, animés d’une sorte de crainte, éprouver le sentiment d’être épiés et de franchir l’interdit et s’interroger sur les frontières de la propriété publique et privée, questionner la légitimité du geste et prendre la mesure de sa portée, opter pour la discrétion ou la visibilité, provoquer la surprise, privilégier l’immédiateté ou, au contraire, inscrire le geste dans la durée. Embrocher un mot dans la branche d’un arbre qui, en grandissant, va éventuellement l’englober ; cacher le mot dans une haie pour qu’il n’apparaisse que l’automne venu ; déposer des mots dans l’eau au moment où l’écluse va se refermer ; les confier à l’équipage d’un bateau et les faire voyager ; amarrer les mots au quai du traversier ; faire traverser la rue aux mots graffités ; lancer les mots du haut du mont Royal ; s’amuser avec les mots, les suspendre aux balançoires, les lancer comme si c’étaient des frisbees ; faire des jeux de mots en les combinant aux signalisations existantes, réconcilier des rues en culs-de-sac. Voilà autant d’actions à envisager comme des micro-résistances pour manipuler l’usage et l’ordre établi des aménagements, des objets et des circulations. « Partager/share », « pénétrer », « jumeler/match », « disparaître/disappear », « répondre », « réconcilier », « changer », « infiltrer » les frontières pour rendre accessible, dénoncer, affirmer, répliquer, réclamer, dire subtilement, adoucir ou rendre agréables les frontières comme lieux communs dans la ville.
Par le repérage, la documentation, l’analyse et l’évaluation du potentiel des lieux à susciter des questions, à inspirer des réactions et à soutenir une action, Goulet propose une riche typologie de contextes répondant au critère de frontière géopolitique. Les valeurs conflictuelles qui animent souvent les frontières s’inscrivent dans le paysage urbain : le contraste des tours d’habitation dans une mer d’asphalte avec des résidences cossues disposées dans un oasis de verdure ; l’interdiction d’accès aux espaces naturels laissés en friche sur les berges du fleuve occupées par les installations pétrochimiques ; la séparation brutale des quartiers par les grandes artères de circulation, ces lieux vastes et anonymes qui n’offrent comme repères que les panneaux de signalisation ; l’activité intense d’une multinationale du béton qui voisine un quartier paisible de banlieue ; la privatisation de l’espace public par l’omniprésence de l’affichage publicitaire, la densification à outrance des rives de l’île, la présence inattendue d’une clôture ou le détournement de la circulation. La visite des frontières permet aussi de découvrir des endroits inusités, parfois d’une rare beauté. On inscrit son passage dans les lieux de mémoire que sont les cimetières, on repère des églises, on escalade des buttes pour circuler sur la crête d’un parc délicieusement aménagé, on visite un jardin, une zone agricole, on redécouvre l’insularité de Montréal, on cadre des panoramas. L’espace urbain se contracte ou prend de l’expansion, se recompose à partir de fragments d’images. L’expérience aiguise les sens et stimule l’imagination. Sur le chemin du retour, les immenses réservoirs de mazout rouillés prennent l’allure des grands Torques de Richard Serra.
Il est aussi intéressant d’observer la dynamique du collectif improvisé qui, dans une certaine mesure, modélise le principe de communauté avec ses subjectivités politiques : « idée régulatrice » plutôt qu’« allant de soi (1) », altérités vécues dans le « être en commun » et le « être ensemble (2) ». Chaque membre de l’expédition relaie des images, des aspirations et des intérêts convergents ou divergents en provenance d’un peu partout dans le tissu social. Que les actions entreprises soient collectives ou individuelles, toutes sont co-responsables des attitudes et des marques laissées sur le territoire. Si certains groupes prennent plaisir à discuter ensemble des enjeux que suggère le contexte visité, d’autres adoptent un fonctionnement plus débridé. Le marquage de mots étonne par la diversité et la créativité des formes d’expression spontanément libérées et il n’est pas sans rappeler nos modes usuels d’interprétation des signes du paysage urbain pour déceler et analyser des enjeux, formuler des jugements souvent hâtifs, sur la foi de l’instinct, d’une connaissance partielle de l’évolution du territoire, des valeurs identitaires et communautaires et des histoires locales. L’enchaînement de diverses expressions de l’altérité décline autant de cartographies possibles du territoire.
Ce qui s’inscrit in situ est une forme d’appropriation symbolique des lieux, une adresse aux habitants des frontières et aux usagers de l’espace urbain. Ce constat n’est pas sans soulever, chez certains participants, des questions d’éthique sur le sens et la portée du geste posé. Aussi, on se préoccupe de soigner l’aspect de l’intervention : on installe le mot, on recule pour l’apprécier dans le paysage un peu comme on admire un tableau ; on se soucie de laisser sur place des clés de compréhension ou d’ouvrir un canal de communication (inscrire sur les pastilles l’adresse courriel de Dare-Dare) ou, au contraire, on préserve le caractère anonyme du geste, le mot devenant une sorte de koân urbain. L’expédition aux frontières de la ville permet des jeux de rôles bousculant les positions traditionnellement assignées du public et de l’artiste. La mise en situation proposée par Goulet informe les questions sous-jacentes aux modes d’intervention des artistes dans le tissu social et urbain. Le marquage de mots exerce la créativité des compétences « ordinaires » pour rendre compte de l’impact de nos jugements, de nos gestes et de nos attitudes dans la production de l’espace public.
Les visites nocturnes au parc Jarry, conclusion de la trilogie
Cette fois-ci, l’expérience proposée au collectif improvisé est d’une simplicité déroutante : rester allonger sur une toile étendue au centre du parc, de 23 h à 24 h, par temps clair, sans bouger, silencieux, dans l’obscurité. Les lumières des terrains de tennis du parc Jarry s’éteignent : l’expansion de la vue aux confins de l’horizon, le discernement graduel des formes dans l’obscurité et le dévoilement d’un ciel étoilé, la fraîcheur de la terre, la moiteur de l’air, l’intensification du silence et des bruits resserrent les frontières de l’intimité ou les ouvrent, pour sentir la présence des autres à ses côtés. Pendant une heure, Sylvain B., engagé par l’artiste, veille sur le groupe. Aux confins de la vision périphérique, se déplace ce personnage imposant, pour ne pas dire intimidant. Le bruit de ses pas, celui de ses chaînes, le halètement ou les aboiements de ses chiens instaurent un fond d’inquiétude. Une tension s’installe entre les deux pôles d’une même expérience : l’isolement dans la contemplation ou le sentiment de vivre, en commun, un moment particulier ; et l’impression d’insécurité et de vulnérabilité attribuable aux préjugés entretenus à l’égard des autres lorsque notre altérité se trouve confrontée. Cette tension anime les frontières de la résistance physique et psychologique : méditer, s’endormir, rester coi ou se lever, éprouver un urgent besoin de communiquer ou être pris d’un intense fou rire, toute attitude affectant l’équilibre des positions qui détermine le caractère et l’intensité de l’expérience.
Le passage d’une idée formelle de l’espace urbain à la réalité concrète de l’espace qui se révèle dans l’exercice des compétences ordinaires
Nos frontières attire l’attention sur au moins deux directions qui s’observent, de manière récurrente, dans les pratiques actuelles. D’une part, un vif regain d’intérêt pour la psychogéographie dont les principes, énoncés par les avant-gardes culturelles du 20e siècle sont aujourd’hui largement réinterprétés (3). D’autre part, le développement d’outils conceptuels ou de pratiques existentielles qui nous rendent proches des phénomènes difficiles à saisir dans l’expérience de l’urbain, et qui se démarquent des outils d’analyse et de planification traditionnels (4).
Plusieurs formes de pratiques actuelles s’appuient sur l’idée que notre émancipation, souvent difficile à envisager dans les structures politiques, économiques et sociales de la ville, pourrait plus facilement émerger dans les interstices des mécanismes de réglage de la vie quotidienne autant que dans ceux qui révèlent l’hétérogénéité du territoire. Plusieurs postulent aussi que les qualités tangibles et intangibles des lieux influencent les perceptions qui, en retour, modifient l’aspect, sinon le sens de l’environnement. Ainsi, l’exercice du potentiel humain dans de nouvelles situations inventives permettrait d’opérer le passage d’une idée formelle de l’espace urbain, aménagé et construit, à la réalité concrète de l’espace qui se révèle dans l’exercice des compétences ordinaires, lorsque celles-ci sont mises à l’épreuve dans des situations où la logique des cheminements est déroutée, où les sens sont en alerte pour susciter une compréhension phénoménologique, aiguiser le regard autant que le jugement critique et énoncer de nouvelles formes de l’espace pratiqué. Le vaste éventail des pratiques puisant aux principes de psychogéographie (privilégiant la marche, la dérive, la traversées de lieux avec divers moyens de locomotion, le tourisme ou le récit, pour ne mentionner que celles-ci), ne requiert plus, contrairement aux pratiques lettristes et situationnistes, la complète désorientation et la perte des repères pour comprendre ce qui se joue dans l’espace urbain. Il n’est plus nécessaire de désigner des « unités d’ambiance » ni de transformer la ville et les modes de vie citadins.
En effet, la mobilité physique autant que virtuelle permet à chacun de développer « l’agilité culturelle » nécessaire à construire sa propre urbanité et à la performer comme une forme d’énonciation autobiographique (5). Les lieux habituellement fréquentés sont, la plupart du temps, homogènes et spécialisés, choisis en fonction d’impératifs fonctionnels ou esthétiques. Dans cette perspective, la ville s’envisagerait comme une sorte d’« archipel d’enclaves (6) » parcouru et intégré dans la conduite de nos activités habituelles, dans une mer d’espaces laissés pour compte. Actuellement, la pertinence et l’efficacité de plusieurs stratégies reposent sur le désir de rejoindre, au plus proche, pour les dérouter, nos manières de percevoir, de circuler et de se comporter dans la ville. Il s’agit de déjouer la séquence et la logique des parcours, d’élargir le répertoire des lieux à investir, permanents, transitoires ou éphémères. La donne est renversée : la pratique de l’espace donne à voir la manière dont la mobilisation perceptive et expressive se met à l’œuvre dans la recherche de nouveaux repères sensibles dans l’environnement urbain, alors que l’instinct guide l’action et que la conscience fait appel au jugement critique autant qu’aux idées préconçues, lorsque les schèmes de socialisation commandent la concentration, l’auto-analyse ou le repliement sur soi-même autant que l’impulsion, le désir ou la nécessité d’interagir. Il s’agit de permettre l’expérience de nouvelles formes de décodage du terrain et d’encodage de fragments d’images et d’expériences qui participent à la représentation et à la construction de l’espace urbain. L’expérience permet d’entrevoir, de capter, de comprendre et de réinterpréter les motifs que nos cheminements usuels et nos routines génèrent en nous isolant d’autres formes urbaines ou d’autres formes d’expériences. Elle laisse aussi entrevoir la possibilité, pour chacun, d’exercer ses compétences ordinaires pour questionner, détourner, permuter ou recomposer les motifs mis en œuvre dans l’urbain.
Aussi, il est intéressant de noter que les lieux d’exploration du territoire ne cessent de se diversifier. Même si l’intérêt porte encore beaucoup sur les terrains vagues, les friches urbaines ou sur tout autre site abandonné ou en attente d’une requalification – espaces intrinsèquement forts pour leurs qualités esthétiques, libres de formes préconçues et de formes d’appropriation – un mouvement sans cesse croissant de pratiques urbaines investit aussi de manière critique le fonctionnement « réel » du « fond urbain » aménagé en fonction de la planification rationnelle de la ville. Aussi, il est intéressant de ne plus envisager les lieux et les non-lieux dans un rapport dichotomique : les lieux ouverts à l’art et les non-lieux qui ne lui sont pas, à priori, accessibles ; les lieux où l’on s’attend à trouver l’art et les non-lieux où l’on ne s’attend pas à le trouver ; les lieux qui s’opposent aux non-lieux où, au sens anthropologique, ni l’identité, la relation à l’autre ou l’histoire ne sont symbolisées (7). Lieux et non-lieux, selon la manière dont ils sont activés, se substituent l’un à l’autre : ce sont deux états possibles d’un même terrain. Il en est de même avec l’apparente dichotomie espace public/espace privé dont les frontières sont « labiles et circonstancielles (8) ». Le vaste corpus de stratégies artistiques déployées dans la ville, qui ne cesse de se diversifier, a depuis un bon bout de temps déjà clairement révélé que partout sur le territoire peuvent s’ouvrir des brèches dans l’expérience habituellement convenue, fiable et prévisible de la ville. La diversité des contextes explorés dans Nos frontières et les modes d’appropriation qu’ils ont suscités le démontrent avec éloquence.
En regard de la nature de ce qui fait œuvre, Nos frontières génère des formes d’expression aussi diversifiées que le monument commémoratif, l’installation, le land art, la performance, et toute autre forme d’expression hybride bricolée à partir du coffre à outils de Rose-Marie E. Goulet, du coffre à outils de l’histoire de l’art et de celui des nombreux champs disciplinaires s’intéressant à l’urbain. L’entreprise de transformation de l’espace urbain est subtile. Elle révèle des processus, collectifs ou propres à chacun, qui s’activent et se donnent à voir et à sentir dans des « moments » qui ne sont pas sans rappeler ceux qu’Henri Lefebvre associe aux instants de réalisation et de libération des routines de la vie quotidienne. Aussi, les pratiques actuelles offrent-elles cette possibilité d’observer, en autant de lieux que de circonstances, l’émergence de ces moments de créativité, pour « prendre acte » et être attentif au retour du sensible. Comme l’affirme Catherine Grout, l’expérience esthétique advient dans le mode de l’événement qui nous transforme et qui laisse apparaître des manières d’être ensemble dans le monde : « Dans le contexte de la dissolution des structures sociales, la réinvention de notre relation aux autres et au monde est affaire de personnes et non de structures et de système (9) ». Il en est de même à Montréal en regard de nos frontières. La relation au territoire et aux autres se révèle et se réinvente à travers les savoir-faire, les attitudes et les intentions.
NOTES
(1) Richard Sennett dans Isaac Joseph, « Le droit à la ville, la ville à l’œuvre. Deux paradigmes de recherche », Les annales de la recherche urbaine, no 64, p. 33.
(2) Jean-Luc Nancy dans « Entretien-Jean-Luc Nancy et Chantal Pontbriand », Parachute no 100, L’idée de communauté, p. 15. (3) Joseph Hart : « Psychogéographie : un terme légèrement ampoulé qu’on a attribué à une boîte de jouets remplie de stratégies amusantes et inventives pour explorer les villes. La psychogéographie comprend a peu près tout ce qui mène les piétons hors des sentiers battus et les fait réagir face à une nouvelle perception du paysage urbain. » En un mot, qu’est-ce que la psychogéo-graphie ? Christina Ray : « Divisez-la en deux parties, c’est le psychologique et le géographique. Il s’agit de comment nous sommes touchés par certains endroits – architecture, température, qui nous accompagne –, c’est un sentiment général d’excitation à propos de l’endroit. » – « A new way of walking. Artist-explorers called psychogeographers are changing the way we experience the city », Utne magazine, juillet-août 2004. (4) La myriade de stratégies développées à la suite des expériences menées par le groupe Stalker au milieu des années 1990 dont la mieux connue est une circumnavigation de 5 jours en périphérie de Rome, dans les vides et les interstices de la ville. La traversée et le séjour dans ces espaces a supposé un détournement du sens et des usages dans une série d’actions comprenant le journal de voyage, la photographie, le franchissement d’obstacles, la rencontre de nomades, des pique-niques, la réutilisation des bouches de ventilation du métro pour produire des sons, etc. « Nous avons voyagé à travers le passé et le futur de la ville, à travers ses souvenirs perdus et son devenir inconscient, dans un territoire créé par l’homme, au-delà de sa volonté. Dans cet espace vide, nous avons dessiné une géographie subjective éphémère, des moments instantanés d’un monde en constante évolution. En fait, nous avons créé un espace sans l’avoir planifié ni bâti, tout simplement en le traversant. Cela fait de notre expérience une « pratique architecturale ». Lorenzo Romito, « Stalker » dans Suburban Discipline, Peter Lang et Tam Miller (éd.), New York, Princeton Architectural Press, 1997, p. 131. (5) Maarten Hajer et Arnold Reijndorp, In search of a new public domain. Analysis and strategy, NAI Publishers, Rotterdam, 2001, p. 61. (6) Maarten Hajer et Arnold Reijndorp, op. cit., p. 61. (7) Marc Augé, Pour une anthropologie des mondes contemporains, Flammarion (Champs), Paris, 1994, p. 157. (8) Paul Ardenne, « Entretien avec Paul Ardenne » dans Prefigurations, no 17. www.prefigurations.com/17artsurbains/htm/arturbain_1ardenne.htm. (9) Catherine Grout, Nouveaux lieux, nouveaux liens, www.artfactories.net.