Dossier | Quand l’artiste fait la fête, est-ce toujours la fête?

Cai Guo-Quiang, Black Rainbow: Explosion Project for Edinburgh, Fruitmarket Gallery, Edinburgh, 2005. Photo : Richard Kempton, permission Cai Studio
Cai Guo-Quiang, Black Rainbow: Explosion Project for Edinburgh, Fruitmarket Gallery, Edinburgh, 2005. Photo : Richard Kempton, permission Cai Studio
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Dossier | Quand l’artiste fait la fête, est-ce toujours la fête?
NO 67 - Trouble-fête
Paul Ardenne

Quand l’artiste fait la fête, est-ce toujours la fête?
Par Paul Ardenne

La fête : ensemble de réjouissances organisées occasionnellement ; un terme qui évoque le bon temps que l’on prend en commun, chapeaute une infinité d’«occasions» festives : tous événements qui sous-tendent pareillement l’idée d’une réjouissance collective, la cérémonie, le jubilé, la frairie, le bal, le festin, le gala, la garden-party, le raout, la réception, la kermesse, la bombance, la foire.

Il était courant, à l’âge classique, que l’artiste supervise des fêtes ou accompagne les fêtes publiques, une tradition que la modernité a reprise à son compte. Qu’il s’agisse du carnaval de Venise, des fêtes galantes du 18e siècle, des Fêtes éphémères de Versailles, de Toulouse-Lautrec au Moulin-Rouge, des soirées costumées et cafés-concerts organisés par les artistes de Montparnasse ou, last but not least, des fêtes de la Factory à New York et des soirées psychédéliques, toutes occurrences qui voient des artistes se saisir de la fête, la vitaminer esthétiquement sinon la transcender, tout indique que l’artiste n’est pas forcément l’ennemi des réjouissances, à rebours du standard romantique de la fête triste ou vaine.

L’époque contemporaine, en la matière, se caractérise par la continuité : l’artiste, fréquemment, montre son intérêt pour la fête. La création vivante aimant cependant le décalé (faire comme si mais tout en injectant en sous-main un point de vue critique), la fête reprise en charge par l’artiste se fait aujourd’hui souvent ambiguë : pure exaltation, dépense douteuse ou sujet critique?

La fête à l’ère postmoderne
Le souci «festif», depuis le second Après-guerre, a été décliné par maints artistes de maintes façons : repas esthétisés organisés par Daniel Spoerri et Dorothée Selz, fêtes païennes des actionnistes viennois et, ludiques et désacralisantes, de Fluxus, séances de libération collective orchestrées par Jean-Jacques Lebel dans ses festivals parisiens de la Libre expression... pour ne citer que les plus mémorables d’entre les formules festives qui ouvrent l’âge contemporain de l’art.

Cette disposition festive, dans la période récente, ne mollit pas. Tout juste trouve-t-elle à requalifier le regard porté sur la fête en un moment historique où triomphent bientôt, sur fond d’atmosphère postmoderne, l’individualisme et la relativité des valeurs. Toute célébration de quoi que ce soit faite de manière collective, au nom d’un «être ensemble» (qu’il soit familial, amical, social, politique, commémoratif ou de vocation symbolique), devient de fait problématique : la fête collective, à l’évidence, n’est plus d’abord ma fête célébrée au nom de mes valeurs mais autre chose de plus général qui ne me concerne pas forcément, voire pas du tout. De façon significative, Claude Lévêque et Sam Taylor Wood présentent dans les années 1990 vidéos ou -installations montrant des personnes qui dansent seules, enfermées dans leur bulle, faisant la fête pour elles-mêmes. Un même sentiment de dissociation sociale et de découplage avec le groupe festif préside au fameux [Untitled] (Go-Go Dancing Platform) que met en scène Felix Gonzales-Torres au même moment, lors de plusieurs expositions : un danseur de boîte gay en slip, sur un piédestal, un casque audio sur les oreilles, danse en solitaire, métaphore d’une fête perdue (la festivité collective) et du repli sur le soi comme sphère privilégiée de jouissance. Que dire aussi, pour peu qu’on compare sa valeur plaisir à celle dont irradiaient 30 ans plus tôt les repas collectifs de Spoerri ou Selz cités à l’instant, des multiples agapes réglées, interminables, d’une pesanteur qui n’a rien de cénobitique, organisées par Vanessa Beecroft, en 2003, au Castello di Rivoli, pour des mannequins féminins et des amies personnelles (VB 52, 12 repas servis en 36 heures dont 11, monochromes, et le dernier, multicolore) : un festin pesant, préréglé comme un ballet, où toute communication entre les convives semble bannie, et que perfusent ennui et indolence – l’anti-fête par excellence.

Un autre problème que doit affronter l’artiste de la fin du 20e siècle est le statut nouveau dévolu à la fête collective. Celle-ci, au regard de son organisation, échappe bientôt au volontarisme ou à la décision individuels, fréquemment décidée-confisquée qu’elle est par l’autorité publique. Règle implicite de ce nouveau régime festif : «on-nous» est prié de faire la fête tous ensemble, et non plus d’abord «moi-je» quand cela lui chante et avec qui il veut. La fête, événement que l’on aurait pu imaginer occasionnel, relatif aux envies d’éclate privées de petits groupes solidaires, cette fête que la modernité avait fini tant bien que mal par tirer hors du calendrier traditionnel des festivités (celles, de nature religieuse, de la célébration des saints ; celles, commémoratives, rythmant la vie politique institutionnelle), voilà qu’elle revient sous le visage à peine déguisé du même, pulsée par le pouvoir et envisagée par lui comme un ferment de vie collective contrôlée. Comment juger en effet, sinon comme autant des ruses pour forcer la catalyse sociale ou éviter son naufrage, ces événements aussi «téléguidés» que possible que sont les «Nuits blanches» officielles de Paris ou d’ailleurs, le Zinneke Parade de Bruxelles, la Fête des lumières de Lyon, les Festivals internationaux de la soupe de Lille et de Berlin ou autres «Transurbaines» de Saint-Étienne, autant de productions grand format de l’industrie culturelle dont l’existence n’a rien à voir avec l’initiative festive individuelle ? Forme subtile de l’oppression contemporaine. Ici, l’organisateur a toutes les chances de gagner : il fait plaisir et il offre une occasion de détente qui est aussi une occasion de décrispation politique.

Il est patent que la «fête», aujourd’hui, n’est plus tout bonnement un bon moment de détente : elle est devenue un enjeu politique. De l’avis des technocrates de l’«urbanité», l’organisation d’une fête est en général une opportunité pour resserrer à peu de frais les boulons du social. Pas de spontanéisme, la fête contemporaine est un événement programmé, hautement supervisé. Les impératifs de l’«agir communicationnel» (Jürgen Habermas), la volonté de faire croire à tout prix qu’il existe bien un lien social indéfectible entre les résidents d’une zone géographique donnée, serait-elle le lieu de toutes les oppositions factuelles, ont fait de la fête le vecteur par excellence de la socialité mimée. La société se délite ? Organisons une fête ! Une fête n’a que du bon d’un point de vue technocratique et dirigiste. Tout le monde s’y amuse, on y oublie tout, comme au temps du carnaval historique, à commencer par la violence sociale coutumière. La fête a de surcroît des airs bienvenus de manifestation non idéologique, elle s’adresse indifféremment à tous sans considération de classe sous les flonflons ou au rythme de la musique techno, quand le subalterne festoie avec son patron, oubliant le fait que demain tout sera comme avant – retour à la normale, la toute-puissance de la hiérarchie, l’exploitation sociale, les distinctions patrimoniales, le mépris de classe.

Pour une fête à moi d’abord
On peut légitimement se méfier de ce type de festivités, et s’inquiéter de leur succès facile (de leur fréquente «gratuité»). De là à s’en déclarer l’ennemi juré ? La fête, serait-elle pilotée autoritairement, est le plus souvent plébiscitée. Qui aujourd’hui, par exemple, pour oser critiquer la Fête de la Musique, mise en place, en France d’abord, par le ministre socialiste Jack Lang, une formule qui a essaimé dans le monde entier ? Personne, en vérité. Ainsi se fabriquent le consensus et la servitude consentie : en gavant le citoyen de sucreries festives.

Les formes alternatives à la fête programmée et «soumissionniste» sont nombreuses, à commencer par les fêtes privées où l’on fête ce que l’on veut, qui n’ont pas disparu, tant s’en faut. En termes de grand format, la plus intéressante est sans conteste, depuis les années 1990, la rave party, longtemps soutenue par la pensée crypto-anarchiste et «automonarchique», dirait un Hakim Bay, des travellers. On s’installe çà ou là, où le cœur nous en dit – dans un entrepôt désaffecté, dans un champ en friche au fin fond de l’Eure, sur un coin de banquise –, on met en marche le système de son puis l’on danse, l’on active son corps dans la transe le temps qu’il faut pour se sentir bien, allégé de ses crispations intimes et sociales, jusqu’à épuisement si envie. La TAZ ou Temporary Autonomy Zone (zone d’autonomie temporaire) que créent en passant les ravers montre avec bonheur les limites des sociétés de contrôle : on peut encore se faufiler à travers les mailles du filet, organiser et vivre ses propres fêtes sans autorisation préalable. Un même constat est permis par les flashmobs, ces rassemblements informels et festifs de foules contactées sur Internet apparus au début des années 2000 : à telle heure et à tel endroit (public, en général), retrouvons-nous tous ensemble pour faire exploser des bouteilles de Coca-Cola en y immergeant des pastilles de marque Mentos, pour organiser en place publique une bataille avec des polochons ou des rouleaux de papier hygiénique, décidons de nous figer sur place sans avertissement, en pleine rue, et d’y mimer l’immobilité corporelle. Frozen Grand Central, New York, 2007 : pendant cinq minutes environ, les participants à ce happening singulier, dans la grande gare new-yorkaise, s’immobilisent en un même ensemble, comme s’ils avaient été gelés sur place.

La fête en soi suffit-elle ?
En termes de production artistique, la limite de la rave et du Flash Mob peut résider dans leur événementialité – celle de la performance ordinaire : une fois passé le temps T de ces manifestations éphémères, rien n’en reste sinon le souvenir et quelques images diffusées sur Youtube. Cette événementialité ne gênera en rien l’artiste qui organise des fêtes et qui en fait des moments d’art en soi, à l’instar de certains DJ et VJ (Disc Jockeys, Video Jockeys) dont l’activité entend alors faire de l’expérience vécue du mix, mains collées aux platines, un instantané hautement esthétique (l’activité, pour partie, d’un Gerald Rockenschaub). Elle peut s’avérer frustrante, en revanche, pour peu que l’on veuille à la fois faire la fête et transmettre une certaine idée de la fête, en conservant de celle-ci une trace exploitable une fois éteints les projecteurs et chaque fêtard retourné à ses occupations non festives. L’œuvre d’art, dans ce cas, ne peut se satisfaire d’être un event, au sens canonique donné à ce terme par George Brecht dans les années 1960 : une action réalisée dans son temps propre par un exécutant, présentée comme un geste artistique, puis rien.

Faire, artiste, sa propre fête. Qui plus est : la faire et en faire aussi quelque chose d’artistique et à même de se pérenniser, de durer, de constituer une «mémoire fête». Tel est l’axe choisi, entre autres, par Pilar Albarracín, artiste espagnole qui exalte la fête sexuelle ou la fête commémorative : elle se met en scène, vit sa propre fête sur le mode de la performance mais en fait aussi une vidéo qui devient mémoire d’une fête intime qui ne sera oubliée pour personne, l’artiste elle-même pas plus que les spectateurs de son œuvre. Dans nombre de ses performances filmées, Albarracín se représente volontiers sous les traits d’une femme accomplie, forte, dont rien ne semble pouvoir contenir l’énergie, sexuelle ou physique. La cabra / La chèvre (2001), brève performance, la voit danser comme une ménade en secouant avec violence une outre de vin qui fuit, souillant de liquide bachique ses vêtements, en un moment d’exaltation érotique qui laisse le spectateur pantois – l’expression de l’énergie furieuse et orgasmique. Une autre des performances de Albarracín, Viva España / Vive l'Espagne (2004), montre l’artiste marchant en ville avec autorité, tant bien que mal accompagnée par une fanfare qui s’époumone à jouer en essayant de suivre sa marche triomphale. Albarracín, qui se fête elle-même (mon orgasme bachique dansé, ma marche triomphale), élargit d’un même tenant ses moments festifs intimes par transmission de ceux-ci, après enregistrement, sous forme d’images – ce que je vous communique de ma propre fête. Pour ancrée qu’elle soit dans un moment précis (son temps T d’exécution), l’expression festive qu’elle propose au spectateur se perpétue ad infinitum, sur un mode démonstratif et exemplaire donnant une suite à l’instantanéité du geste. Cette exposition au sens strict (expositio, la «mise en vue») du moment intense d’une fête intime, paradoxalement, acquiert une dimension sociale : je jouis seule peut-être, semble suggérer Pilar Albarracín, mais rien ne vous interdit d’en faire autant. Faites juste comme moi je fais.

Vivre la fête pour la filmer, pour en laisser une trace, une preuve, pour en transmettre la teneur : cette inclination est peut-être problématique, estimera-t-on. Elle signifie que la fête ne suffit pas en tant qu’événement juste vécu, et qu’elle peut être plus, somme toute, qu’elle-même. Faire de la fête un objet d’art, c’est comme créer un prétexte pour élargir notre regard sur la fête, qui n’est plus seulement un moment vécu ; ou pour simplement nous pousser, nous spectateurs, à réfléchir à la fête même, au phénomène qu’elle constitue, en l’abordant en seconde main, au second degré. Je vous montre ma fête, moi artiste, et ainsi pourrez-vous mieux évaluer la valeur des vôtres, spectateurs, par comparaison. C’est sans doute là, consciemment ou non, le parti pris par Elena Kovylina avec Waltz (2001), rien moins que la proposition d’une fête désespérée, d’un naufrage de la joie dans le désarroi et l’aspiration à l’autodestruction. Kovylina, en public, se lance dans une performance fortement alcoolisée ainsi dévidée, tout en pressant les hommes présents dans l’assistance de la faire danser au son de la fameuse chanson allemande Lili Marlen, diffusée en boucle. Cette artiste russe rythme chaque nouvelle danse par l’absorption réglée d’un verre de vodka. Les minutes passent, les danses s’enchaînent, Kovylina bientôt enivrée se meut de façon de plus en plus incertaine, elle chaloupe, s’accroche bientôt tant bien que mal au cou de ses partenaires comme à une bouée de sauvetage, se relâche, s’effondre enfin. Fin de la fête. Proposition transitive que celle-ci, conçue pour être diffusée pour donner de la fête une image équivoque – ce moment où l’on veut se sentir bien mais où les démons noirs de nos vies éprises d’absolu mais toujours déçues reprennent, malgré tout, le dessus.

Feast is mine, I live it my way
Faire la fête, l’organiser, la montrer : l’artiste plasticien, au tournant du 21e siècle, se mobilise volontiers dans ce but. Il n’est pas un ennemi de la fête, tant s’en faut. Sachant qu’il n’est pas non plus son propagandiste écervelé. Une inflexion de l’artiste préoccupé par la «fête» et désireux de donner à celle-ci plus de consistance consistera, en premier lieu, à rendre plus présente aux esprits qu’elle ne l’est l’idée de «fête». Quelle meilleure manière de procéder, pour ce faire, que multiplier les fêtes, les occasions festives ? Cette multiplication de la sphère festive peut passer par la création d’un calendrier spécifique des fêtes, à l’image de celui, pionnier, de Robert Filliou dans les années 1970, qui désigne alors d’autorité, dans le calendrier, une journée qu’il élit comme étant dorénavant celle de la «Fête de l’art» (chaque 17 janvier). Cette formule volontariste sera relayée par Pierre Huyghe, en 1995, dans le cadre de sa toute neuve Association des Temps Libérés. En vertu des statuts de cette association qui regroupe dans un premier temps des artistes, l’objectif recherché est d’abord sociologique et politique : «le développement des temps improductifs, pour une réflexion sur les temps libres, et l’élaboration d’une société sans travail». Agissant dans le cadre de «réunions publiques, conférences, parutions, fêtes...», l’Association des Temps Libérés reste une proposition artistique, un foyer d’utopie. Il y a peu de chance en effet que ses recommandations et son espérance d’une société de l’improductivité revendiquée trouvent une issue dans le domaine de l’organisation concrète, le remue-méninges qu’on y produit serait-il fructueux. Ce qui importe, cependant, c’est la reprise en mains de la question «temps» que vient consacrer une telle entreprise. S’empare-t-il, dans ce cas, du calendrier, l’artiste le fait parce que son sentiment est que ce dernier est mal structuré, et mal pensé. L’Association des Temps Libérés sera ainsi à l’origine d’une création collective signifiante, One Year Celebration (2003-2006), établissement, dans la lignée de Filliou cité plus haut, d’un nouveau calendrier des fêtes (la fête Andy Warhol...) conçu par des artistes, des musiciens et des architectes. Ce calendrier, on le devine, constitue une proposition factuelle sans rien de commun avec les calendriers traditionnels, où les figures ou les épisodes que l’on célèbre affichent une origine religieuse ou tributaire de l’histoire politique.

Plutôt que parier sur l’organisation du temps collectif et d’édicter un calendrier de fêtes délicat à imposer, dont la célébration a toute chance d’être marginale et ne concerne pour finir que peu de monde, l’artiste peut décider de créer des fêtes, directement. Des fêtes, on le pressent, quelquefois insolites. Un Thierry Théolier, de la sorte, conçoit dans les années 1990-2000 des happenings festifs pour le moins singuliers dont il est le grand ordonnateur, le plus fameux étant une partouze organisée à Paris et demeurée mémorable. Ce «Tooz Art», faut-il le préciser, n’est qu’un des aspects innovants de la reprise en mains de la notion de «fête» par l’artiste contemporain. Un Alexandre Périgot, par exemple, organise de son côté des concours d’Air Guitar dans sa fameuse Maison témoin, maison d’Elvis, une réplique en tubes métalliques, à l’échelle 1, de Graceland, la demeure du King à Memphis qu’il fait installer çà et là, à Paris, en Thaïlande ou autre part. La Polonaise Joanna Malinovska, à New York, met en scène devant public Quintet for two violas, two cellos, and a corpse, une cérémonie festive avec partition musicale et musiciens, à laquelle le cadavre participe pleinement. Un des musiciens demeure immobile et silencieux, sa partition étant vide (composition de Masami Tomihisa, galerie Venetia Kapernekas, mars 2008). Quant à Andrea Mastrovito, avec quelques amis réunis en 2008 au Teatro dell’Italian Academy de New York –, il rejoue en play-back, 16 minutes durant, avec de faux instruments de musique en papier, le dernier concert du groupe Queen (à Wembley, en 1986), lui-même tenant le rôle de son idole, Freddie Mercury (Queen, 2008) – la fête où je n’ai pu me rendre, que je n’ai pu vivre, et qu’en conséquence je reconstitue.

Repenser la fête
La multiplicité des registres festifs mis en scène ou exploités de vivo par les artistes plasticiens contemporains n’est pas sans insinuer cette idée : la notion même de «fête», pour large déjà qu’elle soit, se doit d’être élargie encore, étirée au besoin jusqu’à sa re-conceptualisation. Une Sandra Kranich, un Cai Guo-Qiang, que fascine tous deux la pyrotechnique, se font ordonnateurs de feux d’artifice publics hautement esthétiques, parfois présentés à dessein de manière imparfaite, comme le veut Kranich – la fête, oui, mais en évitant que le spectateur s’abandonne à cette pure contemplation éblouie, trop exaltée, qui vous éloigne de la réalité.

Rien n’interdit à l’artiste de se faire penseur de la fête, théoricien ou artisan de la meilleure fête possible. Un artiste tel que l’Américain Marc Horowitz a conçu son Center for Improved Living en ce sens. Dans ce laboratoire de création où l’artiste amène chaque participant à créer ce qu’il veut en soutenant et guidant sa démarche, il n’est question que d’être de bonne humeur, décontracté, de créer en s’amusant, au rythme accéléré de franches parties de rigolade. Euphorie d’abord, trop sérieux s’abstenir, la création en soi peut être une fête. S’agissant de repenser la fête, on citera encore, à un niveau plus pratique, le travail de réflexion d’un Brian Eno, artiste acousmaticien spécialisé dans la fête techno. L’objet de celui-ci est d’améliorer pour l’usager les atmosphères festives en milieu clos et bruyant. Concepteur du Quiet Club, un espace de type chill-out à la fois simple (dans son organisation spatiale) et sophistiqué (dans ses effets sensibles), Eno place la fonction de l’artiste à la croisée de celle de l’inventeur de formes, de l’esthète et du physiologiste. «La plupart des clubs sont faits pour vous stimuler, pour vous faire aller plus vite, vous exciter, déclare-t-il. Je voulais un club qui me calmerait, qui me laisserait immobile et en paix.» Ses Quiet Clubs proposent «un contexte qui laisse libre cours à l'imagination créative». Le lieu de la fête comme celui de la création de soi, comme celui, aussi, d’une socialité intimement vécue, pour résumer.