Quel est le prix de la critique ? Bill Dixon à Victoriaville

Quel est le prix de la critique ? Bill Dixon à Victoriaville
Écrit par Eric Lewis

Bill Dixon entre, s'assoit, puis s'exécute. Le murmure de l'auditoire s'éteint peu à peu. Au début, le musicien produit des sons familiers, et le public se détend, visiblement enchanté. Puis, on ne sait trop à quel moment, les choses changent radicalement. Nous ne sommes plus en terrain connu. Les gens sont pris par surprise. Ils sont confus. Ce qu'ils entendent maintenant les fait douter de ce qu'ils ont entendu précédemment. Certaines personnes se sentent offensées, nombre d'entre elles cessent d'écouter. À la fin, le musicien revient, un sourire en coin, en terrain familier, au grand soulagement d'une bonne partie de la salle. Par la suite, la performance fait l'objet d'un débat animé. Certains essaient de faire entrer ce qu'ils viennent d'entendre dans leur schéma conceptuel habituel, alors que d'autres rejettent la performance du revers de la main, la considérant comme une manifestation d'animosité ou, pire, de l'attitude défensive d'un musicien qui perd la main. D'autres s'arrêtent pour réfléchir, comprenant qu'une performance qui nous force à réexaminer radicalement nos préconceptions nécessite une analyse introspective prolongée.

Voilà qui décrit à merveille une expérience bien connue des habitués de spectacles de musique improvisée, lesquels ne manquent pas dans la programmation du Festival international de musique actuelle de Viçtoriaville. Toutefois, le paragraphe ci-dessus ne décrit pas la brillante et inspirante prestation qu'a livrée Dixon en compagnie de Cecil Taylor et de Tony Oxley, mais sa conférence de presse, à laquelle assistaient quelque 20 membres de la (soi-disant) Presse Spécialisée dans le Jazz. C'était là, selon moi, le « numéro » le plus intéressant du festival, car il a permis d'aborder très directement des questions essentielles à la production musicale, en particulier celle issue de la tradition afrologique. Les réactions que cette conférence a suscitées révèlent clairement l'existence de problèmes qui ne datent pas d'hier et qui se posent encore aujourd'hui à celles et à ceux qui s'intéressent à ce genre de pratique artistique. Que ces problèmes, soulevés depuis longtemps, ne soient encore ni reconnus ni compris par les personnes qui se prétendent ouvertes à ce type de musique constitue un véritable travestissement. Les deux prestations de Dixon, soit sa conférence de presse et sa contribution au trio le soir même, ne peuvent pas plus être séparées l'une de l'autre que son vécu ne peut l'être de son art; elles se reflètent l'une l'autre de façon profonde et, pour peu qu'on soit prêt à faire un effort, éclairante. Lors de sa conférence de presse, Dixon a préparé la soi-disant intelligentsia du jazz à sa prestation de la soirée, et il faudra encore attendre quelque temps pour voir combien de personnes auront tenu compte de son message ou l'auront compris.

Dixon avait préparé avec soin la présentation qu'il allait faire devant la presse, comme s'il s'agissait d'un solo improvisé - composé de riffs créés à partir de vieux thèmes et de tropes courants investis de sens nouveaux. Pour Bill Dixon et un grand nombre de créateurs de musique afrologique, la musique sert un but, et la compréhension et l'appréciation de ce type de musique exigent qu'on s'intéresse à ce but. De plus, l'objectif d'une démarche musicale n'est pas simplement la production de structures sonores autonomes, mais s' intègre de maintes façons complexes dans les expériences de vie, les pensées, les sentiments, les intérêts, les amours et les haines du musicien. Ainsi, contrairement à ce que veut la tendance dominante de l'esthétique européenne contemporaine, les intentions de l'artiste doivent être prises en ligne de compte.

La suggestion de Dixon selon laquelle les enthousiastes de sa musique devraient exiger la sortie sur disque de son duo de 1992 avec Taylor provoque des rires dans l'assemblée des gens branchés. Et pourquoi donc ? Dixon est d'avis, et il a entièrement raison, que ces duos seraient mieux accueillis s'ils provenaient de musiciens blancs de même stature dont le travail s'inscrirait dans la tradition musicale et artistique européenne. Selon lui, ces duos devraient être mis en circulation pour qu'ils puissent « ravir les oreilles d'un public généreux et curieux ». Nous avons ici une utilisation subtile d'un trope signifiant. Car comme Dixon l'indiquera clairement par la suite, il ne croit pas que la presse jazziztique rassemblée devant lui soit généreuse, ou curieuse. Mais comme il vient d'être question du public, les représentants de la presse en concluent automatiquement qu'ils ne peuvent être la cible de Dixon, d'où cet éclat de rire. Mais le piège est dorénavant tendu, et la presse ne se doute pas (encore) qu'elle en est la proie. Dixon joue le rôle du singe devant le lion, comme dans les contes ancestraux (issus des traditions orales Fon et Yoruba) si importants dans la tradition littéraire afro-américaine.

On pourrait croire que les nombreux défauts des journalistes musicaux ne méritent pas qu'on s'y attarde, encore moins qu'on se perde en diatribes à leur sujet. Toutefois, étant donné les inégalités en matière de répartition du pouvoir qui prévalent depuis si longtemps dans la société occidentale, où quelqu'un comme Dixon est désavantagé sur de nombreux plans - parce qu'il est noir, artiste, artiste d'avant-garde et parce qu'il exige le respect et la considération dus à son art -, le pouvoir dont on investit la presse (très majoritairement) blanche devient la source d'injustices tant sociales et politiques qu'esthétiques. Car c'est la presse qui peut déterminer le sort d'une carrière, qui insiste pour que le soi-disant jazz soit considéré à part de la musique sérieuse, qui refuse dans sa presque totalité (en plus d'en être incapable) d'utiliser quelle que théorie critique que ce soit, et qui se satisfait de catégoriser certains des plus importants artefacts artistiques et culturels du XXe siècle comme s'il s'agissait d'ustensiles de cuisine usagés (« Voyons voir, il y a un grand nombre de duos à Victoriaville cette année », « Pourquoi n'y a-t-il pas de bassiste ce soir? », « Ce modèle est-il autonettoyant ? »).

Les critiques font depuis longtemps la sourde oreille face à la demande que leur a faite Dixon d'essayer de comprendre sa musique. On aurait presque pu trouver comique (si cela n'était pas si dangereux pour l'essor et l'acceptation de la musique créative) d'entendre quelqu'un lui demander : « Pourquoi n'y a-t-il que vous trois, et pas de bassiste ? », comme s'il demandait pourquoi une voiture neuve ne possède pas de dispositif de verrouillage à distance. Dixon saisit immédiatement l'inanité de la question et l'ignorance qu'elle trahit, et répond : « SEULEMENT nous trois, comme c'est péjoratift ».

Cette exigence de la part de celles et ceux qu'il est convenu d'appeler les musiciens de jazz que l'on comprenne leur musique n'est pas le fruit d'une prise de conscience récente, de la part des musiciens créatifs afro-américains, du pouvoir de la critique; ni (comme d'aucuns le croient) inspirée par les politiques radicales noires des années 1960. En 1937, le fanzine Metronome publiait un article intitulé « Do Critics Really Know What Its All About? » (Les critiques savent-ils vraiment de quoi ils parlent?) Le saxophoniste Benny Carter y affirmait la nécessité, pour la critique, d'améliorer ses critères d'analyse, et le besoin d'adopter « un point de vue plus objectif dans la critique de la musique de danse », qui tiendrait compte de ce que les musiciens tentent d'accomplir. Deux ans plus tard, dans Down Beat, Duke Ellington faisait valoir que la critique se penchait rarement sur les mérites de la musique et qu'elle ne faisait que refléter ses préjugés idéologiques et ses intérêts financiers. Rien de cela ne porterait à conséquence sans le pouvoir pervers que possédait et que possède toujours la presse de bâtir ou de détruire la carrière d'un musicien, et de promouvoir certains styles de musique au détriment de certains autres. Dans un commentaire qui vaut la peine d'être repris, Dixon affirme, faisant du même coup ressortir les implications de la question « Pourquoi n'y a-t-il pas de bassiste ? », que dans une bonne partie de la musique d'improvisation, on peut entendre l'artiste négocier avec les déterminations économiques de sa situation : il transforme les choses en ce qu'il voudrait vraiment qu'elles soient. « C'est là le point fort de cette musique. » Il y a ici un double message : premièrement, une grande partie de la musique créative que lui et d'autres font est, en effet, incomplète, créée dans le cadre de petits projets souvent conçus à la hâte, qui pourraient être plus gros (tant sur le plan des artistes participants, du temps et de l'effort fournis, que de la vision esthétique adoptée) si les ressources étaient suffisantes. « II n'est pas question d'orchestres quand il s'agit de CETTE musique, pour toutes sortes de raisons. » Deuxièmement, la musique improvisée n'est pas, comme on le croit habituellement (et c'est le cas de la presse et encore d'un grand nombre de théoriciens), impulsive, spontanée ou purement instinctuelle - « comme si aucune réflexion n'était en cause, vous savez, comme si on l'inventait à mesure, ce qui n'est absolument pas le cas ».Ce mythe tenace en ce qui a trait à l'improvisation est une manifestation directe de la conception romantique et raciste de l'artiste africain à l'instinct pur, par opposition à l'artiste européen, dont les actes créateurs seraient intentionnels et rationnels. C'est cette façon de penser qui contribue à reléguer l'art afrologique dans le même panier que l'art populaire, puis à le critiquer en tant que tel. Il s'agit là d'un assassinat culturel de la pire espèce, qui mène à des questions aussi profondes que « Pourquoi n'y a-t-il pas de bassiste ? ».

Dixon enchaîne immédiatement avec une critique des normes de la critique, et du tort que la division entre art majeur et art mineur continue à faire aux artistes. « Des changements incroyables se sont produits en musique et je ne crois pas que les personnes qui sont chargées d'écrire sur le sujet fassent suffisamment d'efforts pour informer le public [de cet état de fait­]. S'agit-il d'art ou de divertissement, de musique ou de jazz, est-ce de la musique ou de la musique improvisée - vous comprenez ? » Les membres de la presse rassemblés croient encore que Dixon critique d'AUTRES journalistes - il ne pourrait s'agir d'eux, car eux, ils aiment sa musique ! Cette réaction de la part de la presse illustre bien le commentaire de Carter : les critiques croient avoir accompli leur travail en se bornant à dire qu'ils aiment ou n'aiment pas une oeuvre ou un artiste. Or, cela n'a aucun intérêt. Alors, si ce n'est pas la sanction de la critique qui importe, quel est son rôle? C'est à cette question que Dixon s'est par la suite attaqué.

« Vous avez une responsabilité, celle d'élever le niveau d'écriture ... il n'y a rien [dans ce que vous écrivez] qui nous dise POURQUOI tel musicien fait tel type de musique, ou à quoi s'intéresse ledit musicien à part la musique. Qu'importe le nombre de disques qu'il a vendus, vous devez vous attarder au pourquoi de certaines choses. » Ces commentaires de Dixon soulèvent un certain nombre de questions pressantes. Premièrement, Dixon suggère que les critiques ne rapportent pas ce que les gens auraient besoin de savoir pour mieux comprendre la musique. En même temps, il reconnaît le pouvoir qu'a la presse de façonner l'opinion publique: « Les gens vous font confiance. » Mais il va encore plus loin, car il affirme que ce qu'il faut comprendre, c'est la fonction de la création musicale pour pouvoir saisir, et donc apprécier, les oeuvres. Il faut savoir pourquoi un musicien fait la démarche créative qu'il fait, et pour cela, il faut connaître ses intérêts et ses préoccupations autres que la musique. Ici, Dixon s'inscrit carrément dans une tradition qui considère la musique afrologique comme étant essentiellement motivée, c'est-à-dire une pratique créatrice qui ne vise pas strictement la création d'une oeuvre autonome. En affirmant que la musique afrologique ne peut être analysée de façon constructive au moyen de l'esthétique formaliste employée avec la musique (soi-disant) européenne, il démontre le besoin d'une autre théorie esthétique qui permettrait de saisir les oeuvres afrologiques. Or, on commence à percevoir, dans les écrits d'intellectuels comme ceux de Henry Gates Jr. et de George Lewis, l'esquisse d'une nouvelle théorie esthétique ayant précisément pour objet l'art afrologique.

En signalant l'importance de se pencher sur « le pourquoi de certaines choses », Dixon fait référence, bien qu'indirectement, aux conditions Socio-économiques dans lesquelles l'art afrologique est souvent produit. Pourquoi Mingus ne pouvait-il pas se permettre un gros orchestre ? Pourquoi un si grand nombre d'artistes afro-américains importants ont-ils été obligés de quitter les Etats-Unis ? Pourquoi leurs oeuvres, lorsqu'elles arrivaient à se frayer un chemin jusqu'au public, étaient-elles montrées dans des endroits marginaux, dans des conditions que les artistes européens blancs n'auraient jamais acceptées (imaginez les membres du Julliard String Quartet faisant la tournée des bars miteux sans jamais savoir s'ils allaient toucher les honoraires promis)? Le critique de jazz a l'obligation de révéler et d'analyser des facteurs comme ceux là. Lorsqu'un enregistrement ou un concert est critiqué parce que les musiciens n'ont pas répété suffisamment, ou parce qu'il n'y a pas de bassiste, ce sont les raisons de cet état de chose qui importent, et non le fait lui-même. Faire de l'art dans les conditions actuelles (qui existent depuis aussi longtemps que la musique) force l'artiste à improviser; l'improvisation est donc une pratique tant sociale et politique qu'artistique.

Les critiques eux-mêmes ont été et continuent d'être l'un des obstacles avec lesquels les artistes noirs doivent composer. Le pouvoir de la critique, en particulier face aux formes d'art marginalisées pour des raisons économiques, est si grand que c'est elle qui fixe les critères de réception, au détriment de la vision des artistes concernés. « Je veux faire les choses à ma manière, je ne veux pas que vous me disiez comment jouer du cor, et je ne veux pas que vous donniez un nom à ma musique, alors que moi je l'appelle autrement, est-ce si déraisonnable ? » Cette interférence de facto que les critiques et la critique exercent dans le processus créatif, en soi très problématique, a des effets particulièrement destructeurs sur les artistes de la tradition afrologique. Dixon raconte par la suite (à un auditoire dorénavant silencieux et mal à l'aise) qu'on l'a déjà accusé de faire du militantisme simplement parce qu'il exigeait une liberté artistique et un degré de compréhension minimale de la part des critiques. « Elliot Carter dit « Je veux que ce soit joué de cette façon » ; [et la réponse des critiques est] « Voyez la précision, la dévotion de ce gars ». Il est évident qu'on emploie ici deux poids deux mesures, ce qui fait un tort réel à Dixon et à d'autres artistes qui partagent son point de vue.

À ce stade, les journalistes de jazz réunis, comprenant enfin qu'ils sont la véritable proie de Dixon, et que c'est d'eux qu'il est question depuis le début, essaient de se défendre. En réponse aux commentaires de Dixon concernant une critique défavorable du livre Dixonia parue dans Coda, principale revue de jazz canadienne, et l'absence de réaction des lecteurs face à cette critique, Mark Miller, le membre le plus respecté de la presse canadienne spécialisée en jazz, tente une réfutation en disant que Coda ne publie jamais les lettres des lecteurs. Il serait difficile d'imaginer une réponse qui refléterait davantage l'incapacité du critique à comprendre les aspects sociaux et politiques de son intervention. Cela fait penser à la réponse apportée par le président du vénérable club de golf d'Augusta à la plainte d'un citoyen afro-américain à qui on avait refusé l'accès : « Mais nous n'acceptons tout simplement pas les membres de race noire. » C'est la politique de Coda qui perpétue le pouvoir qu'ont les critiques de fixer les critères, en ne permettant pas à des lecteurs bien informés de remettre en question les proclamations de la presse. Dixon a bien martelé ce point : « II y a une différence entre une mauvaise critique et une critique fondée sur l'ignorance... critiquer signifie qu'on porte un regard nouveau sur quelque chose; il ne s'agit pas d'adhérer, mais plutôt d'informer les lecteurs. La politique de Coda aurait dû être remise en question par des écrivains intéressés et bien informés. »

La presse réunie tente ensuite de parlementer : « Vous semblez dire que nous devrions aimer à tout prix votre travail », s'exclame l'un des sages de l'auditoire. Ce à quoi Dixon répond avec force : « Non, je dis que vous devriez comprendre en quoi consistent mes oeuvres avant de décider si vous les aimez, et que votre opinion n'a rien à voir avec mon travail; votre public VEUT SAVOIR QUE j'ai accompli ce travail. Je ne connais personne qui produise une oeuvre en voulant que les autres y adhèrent d'emblée, et ce n'est pas ce qui me motive à faire ce que je fais. Pourquoi je fais de la musique, voilà ce qu'ils veulent savoir. Je ne veux pas que vous adhériez à mon travail, mais vous devriez essayer de renseigner vos lecteurs sur ce que je fais. »

La conférence de presse prend fin peu après, sur un commentaire de Dixon : « Je ne veux ni être condescendant envers quiconque ni dénigrer qui que ce soit. » Cette vérité constitue également un trope signifiant classique, car Dixon vient d'affirmer à la fois que les critiques sont condescendants envers leurs lecteurs et qu'ils dénigrent les artistes. Avec ce commentaire, le solo de Dixon, son improvisation, sa façon de manoeuvrer la situation, l'endroit, l'auditoire, ses réponses et ses questions, bref, tout revient au point de départ, au thème sur lequel la rencontre a débuté. Aussi le trope signifiant formulé par Dixon au début, à savoir qu'un duo de lui et de Taylor devrait pouvoir « ravir les oreilles d'un public généreux et curieux », et ses affirmations autoréférentielles de la fin sur la condescendance et le dénigrement encadrent parfaitement ces discussions. La différence est que le premier trope a suscité des rires, et le deuxième est accueilli par un silence gêné.

Cette performance était à bien des égards un prélude au spectacle du soir. En concert avec le percussionniste anglais Oxley et Taylor, Dixon a livré des variations microtonales bien ficelées et soigneusement maîtrisées, souvent agrémentées d'un délai numérique. Ces variations évoquaient la naissance du langage, comme si Dixon explorait la relation entre le son, la musique et le sens, sujet auquel Taylor s'intéresse depuis longtemps. La contribution de Dixon à cette expérience de groupe a été saisissante, et m'a amené à repenser les nombreuses intersections entre la musique, l'expression signifiante et le langage. En outre, les sons souvent prolongés de Dixon offraient un brillant contraste avec le jeu rythmé de Taylor au piano et de Oxley aux percussions. La prestation de Dixon était Vivifiante, rafraîchissante, inspirante et, bien sûr, a été éreintée par les critiques présents, qui semblaient presque unanimes à penser que Dixon avait perdu la main, ce qui expliquerait, selon eux, la « tirade » qu'il leur avait servie le matin même.

Les phrasés hautement maîtrisés de Dixon, mis en valeur par le délai numérique, évoquaient le chant des baleines. Bien des amateurs de chants de baleines éprouvent un vertige bien particulier lorsqu'ils réalisent que ces sons possèdent un sens à la fois réel et inaccessible. C'est comme si la pierre de Rosette pouvait chanter ! Il s'agit là d'une inversion de l'expérience esthétique habituelle. En effet, au lieu d'essayer de donner un sens à ce qui n'en a pas, on se trouve en face de l'apparente absence de sens de quelque chose dont on sait en regorger. Ainsi, on ne peut s'empêcher de penser que l'évocation faite par Dixon des baleines et de leurs chants avait un but, car les baleines, en plus de communiquer au moyen de leurs chants, ont été presque entièrement décimées par la chasse, et sont totalement à la merci de l'homme. Or, tout comme l'homme a presque fait disparaître ces mammifères par manque de compréhension empathique, la critique a marginalisé et presque détruit la musique créative. Dans ce contexte, Victoriaville pourrait se comparer à l'une de ces trop peu nombreuses réserves naturelles, où les baleines peuvent chanter à l'abri des harpons des chasseurs. Taylor et Oxley n'ont pas chassé Dixon, mais ont entonné avec lui un chant inspiré, et les trois artistes ont alors donné à tous un exemple de critique à son meilleur, où les participants en viennent à mieux comprendre les pratiques artistiques des autres ainsi que les leurs. La compréhension doit précéder le jugement esthétique, et une fois cette compréhension atteinte, le jugement esthétique devient comme le bassiste manquant, dont la présence peut être perçue même dans l'absence.

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